De Windows à chat.GPT- la stratégie de Microsoft analysée

AI, Cloud, Etude de cas, IT, Stratégie, Systèmes d'information, Veille

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Office365, Bing, Azure, Surface, Teams... il est probable que vous soyez déjà dépendant d'au moins une de ces solutions.
Mais comment, après la multitude de procès antitrust, après avoir perdu la bataille des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, des mobiles et des stores d'application, Microsoft sans faire de bruit,  redevient petit à petit l'ogre qu'il était dans les années 2000 ?

Dans cet article je vous propose de prendre de la distance avec les discours marketing, et vous aider à positionner vos besoins. Pour cela, nous allons analyser l'évolution du modèle stratégique de Microsoft, et comprendre comment l'entreprise devient de plus en plus incontournable, aux prix d'une dépendance de plus en plus forte.  

Retour vers le futur de #Microsoft

À l'apogée de la bulle Internet des années 2000, les 4 plus grandes capitalisations du S&P500 sont Intel, General Electric, Walmart, Cisco et #Microsoft.
À cette époque, Bill Gates est depuis plusieurs années, l'homme le plus riche du monde.
Microsoft s'impose en entreprise et chez les particuliers, et déploie ses gammes de solutions dans les ordinateurs, les serveurs et les centres de données.

Mais pour comprendre la position de Microsoft à ce moment, il faut revenir en arrière et analyser les besoins des marchés et la stratégie des acteurs technologiques.
Au milieu des années 90, la demande informatique s'accélère.
Elle commence petit à petit à sortir du cercle des joueurs et des passionnés et se démocratise dans les entreprises pour devenir un enjeu de compétitivités.
La croissance du marché devient colossale et les acteurs technologiques se livrent une guerre totale pour capturer les clients, mais aussi pour les empêcher de partir

Pour cela, la stratégie est assez simple : il faut développer des écosystèmes de logiciel, de matériels et de services dont le marché a besoin. Mais en prenant soin de bien verrouiller les standards, protocoles et innovations, pour rendre les transitions chez la concurrence les plus difficiles possibles. Les vainqueurs de cette stratégie s'appellent Cisco, HP, Oracle ou Adobe. Mais pour autant, si l'on doit retenir une seule entreprise gagnante c'est sans aucun doute Microsoft.

   Si l'on ne peut pas enlever à Microsoft, le fait d'avoir démocratisé des innovations, comme la modernisation des interfaces. L'entreprise doit son implantation et sa courbe de croissance des années 80 aux années 2000 à deux décisions d'IBM :

> D'abord d'avoir choisi Microsoft pour son MS DOS lors de sa phase d'amorçage.

> Mais surtout d'avoir ouvert le format du PC et permettre à d'autres de créer des ordinateurs compatibles IBM PC.
Cette ouverture va accélérer la concurrence, permettre l'émergence d'une multitude de marques d'ordinateur et la multiplication des composants pour le PC. _

Contrairement à Apple et aux autres constructeurs de l'époque, qui développe le hardware et le software, Microsoft construit sa stratégie sur 3 principes :

Comprendre pour bien choisir

  • Se concentrer sur le software et miser sur l'innovation des systèmes.
  • Occuper le marché des produits le grand public et professionnel.
  • Et enfin de concentrer sur la seule plateforme ouverte de l'époque le PC

Conséquence les constructeurs et revendeur de Compatible PC deviennent les VRP des solutions Microsoft, et permet à l'entreprise de pénétrer rapidement le marché d'en devenir le leader.

#Start - La conquête du monde avec #Windows

La fin de la partie commence à sonner avec la sortie de son premier système d'exploitation véritablement grand public : Windows 95.

Micro

Microsoft Démarre sa conquête du monde avec Windows 95

Windows 95 permet de se débarrasser des lourdeurs et de la complexité du vieux MSDOS.

Le système apporte des innovations: comme le multitâche, la gestion multiutilisateur, une interface totalement repensée et modernisée avec son fameux bouton "démarrer", etc...

L'OS sera aussi plébiscité par les constructeurs et les éditeurs, grâce à sa gestion du hardware et la possibilité de créer des applications modernes.

Windows devient alors le cheval de Troie de la stratégie de Microsoft, et profitera de sa position grandissante, pour s'imposer sur la plupart des secteurs du software.

Sa suite bureautique Office parfaitement intégrée et composée des célèbres Word, Excel, PowerPoint et plus tard Outlook et OneNote, lui permettra de s'imposer sur ce marché et deviendra une source de revenus majeure.

  • Pour le développement, Microsoft propose des outils permettant de coder rapidement: Visual Basic, VBA, VBS, Visual C++ et met à disposition une documentation complète pour les développeurs : MSDN.
  • Sous le capot, l'architecture de Windows se modernise, notamment grâce à l'évolution des technologies basées sur les composants. Et si DCOM, COM+, ActiveX, ne vous disent peut-être rien, ces technologies étaient encore massivement utilisées il y a quelques années.
  •  Enfin, Microsoft développera ses gammes de logiciels grand public, et ses solutions pour l'entreprise. Le tournant sera marqué par la génération Windows 2000 qui proposera les services : Active-Directory, Terminal Server, IIS , la gestion des services réseau et la centralisation de l'administration des postes de travail et des serveurs.

Alors bien sûr, tout n'est pas parfait avec un niveau de qualité qui laisse parfois à désirer et une gestion de la sécurité passant au dernier plan. Mais l'écosystème des solutions de Redmond répond aux attentes et aux besoins du marché comme aucune entreprise et lui permet de s'imposer en quelques années.

Le côté obscur de l'empire #Microsoft

Si l'ascension de Microsoft devient irrésistible dans la plupart l'IT... Ce n'est pas suffisant... L'entreprise usera de méthodes parfois obscures pour contrer toutes menaces qui pourraient remettre en cause de près ou de loin sa domination du marché.

Dans la mise en œuvre de sa stratégie centrée sur Windows, Microsoft va prendre toutes les initiatives pour neutraliser tout ce qui s'apparente de près ou de loin à une menace.

Conquérir le Web (et Java à tout prix)

A la fin des années 90, quand les usages d'Internet commencent à devenir grand public et se déploient dans les entreprises, Microsoft comprend rapidement qu'une application Internet n'est plus dépendante du système d'exploitation, mais du navigateur.
À l'époque, le leader des navigateurs Web s'appelle Netscape et quand Microsoft se lancera dans la bataille avec Internet Explorer, il fera deux choses :

  • D'abord, il intégrera son navigateur sans coût supplémentaire avec Windows
  • Et il travestira ( sous prétexte d'innovations) les standards du Web.
  • En quelques années, grâce à Windows, Internet Explorer occupera une part de marché de plus de 90% et laminera toute alternative en asséchant les sources de revenus des concurrents. En effet, quel intérêt pour un utilisateur d'investir dans un logiciel déjà intégré dans son système ?
    Enfin, les sites Internet seront développés avec les spécificités d'Internet Explorer sans déclinaison respectant les standards du Web. Quel intérêt de proposer une version alternative qui touche peu d'utilisateurs et coûte très cher à maintenir ?
    Ainsi, les sites Internet seront principalement compatibles avec Internet Explorer, exécutés sur un Windows équipant votre PC... La boucle est bouclée...
    Cette stratégie impactera négativement Internet pendant des années. D'autant qu' après sa prise de contrôle du Web , Microsoft mettra quasiment à l'arrêt les évolutions de son navigateur. Il faudra attendre plus de 5 ans entre les sorties des versions 6 et 7. Autant dire un siècle à l'échelle d'un cycle technologique, et pour des innovations quasiment nulles...

    Pour autant, Internet Explorer sera loin d'être une initiative isolée.
    Microsoft tentera de réitérer l'opération de noyautage avec la technologie JAVA de SUN agnostique aux différents systèmes d'exploitation. Pour cela, il implémentera à sa sauce la JVM et l'intégrera à Windows et Internet Explorer. Heureusement, cela n'affectera pas les applications JAVA déjà bien implémenté, et cela se terminera par un procès en faveur de l'indépendance de la technologie de SUN.

    Linuxophobie : Comment l'innovation a bien failli mourir !

    Les startups du logiciel ou des services web s'appuient très fréquemment sur des logiciels et des composants informatiques open sources.
    Ces socles technologiques sont des opportunités pour tester de nouvelles idées et innovations, à moindre coût et sans partir de zéro.
    Mais dans les années 2000, on ne peut pas dire que Microsoft porte Linux et les logiciels libres dans son cœur . Il est en effet difficile de racheter une entreprise ou d'intenter un procès quand le code n'appartient à personne ou plutôt à tout le monde.

    Linux is a cancer that attaches itself in an intellectual property sense to everything it touches."

    Steve Ballmer - Microsoft CEO - 2001

    Et pour Linux, qui se positionne comme une alternative à Windows même marginalement sur le desktop, Microsoft va pilonner, fustiger et dénigrer le petit pingouin.
    En 2001, Steve Ballmer, le CEO de l'époque va même jusqu'à déclarer, je cite : que Linux est un cancer, une solution communiste et que les développeurs violent la propriété intellectuelle... rien que ça...

    Mais la charge qui aurait pu tout changer viendra de l'entreprise SCO, soutenue financièrement en coulisse par Microsoft. SCO engagera en 2003 une procédure judiciaire contre IBM puis contre Novell.
    Elle reprochait d'avoir intégré du code d'UNIX dans le noyau Linux et de violer "sa" propriété intellectuelle. Cette charge glacera la communauté du logiciel libre et ses utilisateurs. Car si le procès penche à la faveur de SCO et donc indirectement à Microsoft, cela remettrait en cause la légalité d'utilisation du noyau Linux.
    Au vu du risque juridique, SCO essayera de convaincre (d'extorquer?) les entreprises qui utilisent Linux à se couvrir en leur faisant payer des licences pour ses brevets Unix.
    Figé par le risque, Redhat devra rentrer dans la bataille pour garantir à ses clients que même si SCO gagne, il se portera garant du risque en cas de poursuite.
    Mais, après des années de stupeur, de rebondissement, SCO au bord de la faillite sera finalement débouté ou abandonnera ses procédures coûteuses.

    Neutraliser la bureautique libre #openoffice #libreoffice pour les entreprises et l'éducation 

    En fonction des versions, la suite Office peut coûter pour un seul utilisateur plus de 500 €. Pour Microsoft, ses solutions bureautiques deviennent rapidement une source de revenus importante.
    Mais dans les années 2000, Sun Microsystems ouvre la voie en lançant le projet OpenOffice, une suite bureautique qui se positionne comme une alternative libre et gratuite.

    Pour les établissements d'enseignement dont les ressources sont souvent très limitées, c'est une opportunité. Mais Microsoft ne laisse pas faire...
    Sa stratégie pour garder la main dans le monde de l'éducation consistera à brader sa suite bureautique pour un prix symbolique. Et ainsi form(at)er les jeunes utilisateurs à son écosystème de solution, prêt pour le monde de l'entreprise, ou futur client d'Office à la maison.

    Pour limiter les velléités des entreprises tentées par les alternatives, Microsoft s'appuie sur des formats et des protocoles fermés.
    En faisant évoluer la compatibilité au fur eţ à mesure de la sortie des nouvelles versions, il crée une dynamique d'achat, booste ses ventes et rend très difficiles les efforts des concurrents pour rendre leurs solutions compatibles.

    Et quand le SI d'une organisation tourne grâce à Outlook et Exchange, que votre ERP ne connaît qu' Excel, que vos processus métiers utilisent des centaines de macros, le prix des licences ne pèse finalement pas lourd.
    Surtout au vu de l'effort de transformation, du risque, et de la baisse de productivité qui devra être rattrapée sur plusieurs années...

    Cela ne s'arrêtera pas là et je pourrais continuer à développer les contraintes de conformité, et avec des organismes privés débarquant pour vous contrôler avec des méthodes de cowboys.

    Les contrats de licence de plus en plus complexe nécessitant un master en droit, ou les augmentations tarifaires massives....

    Bref, tout n'est pas rose chez Redmond, et ce ne sont pas les amendes des procès et une image dégradée, allant parfois jusqu'à s'aliéner une partie de ses clients qui feront infléchir une stratégie qui permet d'engranger des milliards...

    Non, le changement viendra d'ailleurs... après plusieurs échecs au milieu des années 2000, des menaces tapies dans l'ombre viendront faire trembler sa stratégie centrée sur Windows.

    Le retour des Jedis

    En 1997, Steve Jobs revient à la tête de l' entreprise qu'il a fondée, elle est alors au bord de la faillite. À cette époque, Microsoft ne voit plus vraiment Apple comme un concurrent, il ira même jusqu'à financer et prendre des parts dans l'entreprise. Bill Gates n'est pas encore connu alors pour sa philanthropie, au contraire... Il se servira de cette prise de participation pour démontrer aux juges du procès antitrust qu'il lui reste encore des concurrents...

    Et peu après le procès, l'entreprise revendra rapidement ses parts dans Apple .

    Mais pendant ce laps de temps, Apple peut respirer et permettra à Steve Jobs de recentrer la stratégie de l'entreprise sur quelques produits innovants basés sur la maîtrise du software et du hardware.
    iMac, iPod, iTunes, chaque produit fera rêver les utilisateurs d'Apple, ce que Microsoft ne fait plus du tout à cette époque. Ces itérations permettront à Apple de reprendre des couleurs financières et de revenir sur le devant de la scène. Et si Microsoft fera des tentatives peu fructueuses sur les mêmes gammes . Qui se souvient du Zune ? C'est bien avec l'iPhone et son App Store qu'Apple va devenir leader des Smartphones et de l'industrie, l'entreprise sera suivie de près par Google qui va s'infiltrer avec Android dans la brèche ouverte . Les leaders du stylet et du clavier digital comme Black Berry, Palm et Microsoft commenceront à se faire emporter par cette vague pour lequel ils ont beaucoup trop de retard.

    Mais Apple ne sera pas le seul concurrent à s'imposer face à Microsoft. Dans d'autres domaines, de nouveaux purs Player du Web émergent et notamment Google..

    Que la force des standards soit avec toi - #DONTBEEVIL

    Après l'éclatement de la bulle Internet, Google ressort comme le moteur de recherche du Web. Sobre, porter par des algorithmes de collecte et de recherche efficaces, il transforme la recherche sur Internet et en devient son principal point d'entrée .

    En trustant la majorité des flux de recherche ciblés sur Internet, il développe et capte la manne publicitaire d'Internet. Ces flux massifs de cash permettront à Google de développer des services novateurs comme Gmail ou Google Map. Mais l'innovation des applications Web reste difficile avec Internet Explorer qui n'évolue qu'au gré de la volonté de Microsoft.

    La conception d'un navigateur indépendant, qui respecte les standards, devient une priorité pour reprendre le contrôle du Web. Et Google soutiendra la première alternative libre, crédible à Internet Explorer : Firefox, né des cendres de Netscape.

    En parallèle, il développera son propre navigateur : Google Chrome. Novateur, véloce, avec des cycles d'évolution à très haute fréquence qui lui permettent d'acquérir très rapidement de nouvelle fonctionnalité. Chrome deviendra assez vite, le navigateur le plus utilisé du monde.
    Mais Google ne s'arrêtera pas là, et complète son offre de service avec Google Calendar, puis Google Doc, et Google Spreadsheet et enfin Google Drive. Petit à petit, la startup de Mountain View met à disposition les briques de Google Workspace qui deviendra rapidement une alternative crédible et plébiscitée à Microsoft Office. La guerre est déclarée...

    La fin de #Nokia et de la stratégie #WindowsCentric

    La bataille pour le Web ne fait que commencer et Microsoft sortira son énorme carnet de chèques pour ne pas se laisser déborder par ses concurrents.

    Si l'entreprise reste largement dominante sur le marché du PC, elle commence à avoir des difficultés :

    • Le premier problème concerne le marché du PC qui commence à décliner au profit des smartphones et autres tablettes.
    • Sa présence est marginale sur le Web face à Google qui capte la majorité des flux publicitaires.
    • La montée du Cloud et les services en Saas commencent à se positionner comme des alternatives plus modernes et plus souples que les solutions traditionnelles.

    Alors, pour rattraper son retard, Microsoft tentera de racheter Yahoo en perte de vitesse avec une offre spectaculaire de plus de 44 milliards de dollars en 2008. Et si finalement le deal n'aboutira pas, il montre que Microsoft à des ambitions sur le marché de la recherche Web et de la régie publicitaire. Malgré cela, les investissements et le positionnement frontal de son nouveau moteur de recherche Bing, Microsoft ne parviendra pas à inquiéter Google sur ce marché.

    Sur le front des tablettes et des smartphones, c'est pareil, après la sortie du premier iPhone Microsoft voit les trains passés sans pouvoir réagir. Cette difficulté est liée à la stratégie qui lui a permis de dominer le marché jusqu'alors : sa stratégie centrée sur Windows.

    Windows est un système conçu pour être exécuté sur des plateformes Intel et utilisé dans un format desktop. Il ne peut donc pas être utilisé pour concurrencer l'iOS d'Apple ou l'Android de Google.
    Microsoft repart d'une feuille blanche et développe Windows Phone. Mais le développement du système ne suffit pas pour percer. Pris entre l'avance d'Apple et son iPhone qui intègre efficacement matériel et logiciel soutenue par une base d'utilisateurs inconditionnels.
    Et Android, qui permet à tous constructeurs de smartphones de personnaliser les terminaux. Microsoft doit s'associer dans des alliances coûteuses pour permettre à Windows Mobile d'exister sur le marché.
    Précédent sa chute, cette stratégie sera marquée par le rachat de l'ancien numéro 1 de la téléphonie mobile Nokia, pour plus de 5 milliards de dollars en 2013.
    L'idée est de prendre exemple sur la stratégie d'Apple, en intégrant le hardware et le software. Mais Microsoft à plusieurs coups de retard et ne bénéficie pas de la l' image et du pouvoir d'attraction d'Apple auprès de ses utilisateurs.

    Enfin, le peu d'application du Windows Store sera le dernier clou du cercueil de Windows Phone, entraîné dans une spirale négative...

    Comme la part de marché est trop faible, les développeurs investissent d'abord dans les plateformes concurrentes, bien plus lucratives. Et comme les utilisateurs veulent des applications, ils se tournent vers les autres terminaux. Malgré les incitations et les accords divers, l'offre d'applications restera faible, et la plateforme ne décollera pas assez aux yeux de l'entreprise...
    Si Microsoft n'admettra que très tardivement son désinvestissement dans Windows Phone. Le peu d'évolution, l'abandon des éditeurs et la baisse progressive des parts de marché laissent peu de doute et sera marqué par le licenciement massif en 2014 de 18000 personnes, principalement les anciennes équipes de Nokia...

    Transformer son modèle

    Vu de l'extérieur, il peut paraître étonnant de voir de grandes entreprises s'écrouler malgré leurs ressources et leur cash. On leur reproche assez facilement de ne pas être réactives et de ne pas pouvoir se transformer, face aux nouveaux entrants et aux startups plus agiles.
    La vérité est que la transformation d'un business modèle vers un autre peut entraîner un affaiblissement et une cannibalisation de sa propre rentabilité. C'est pour cela qu'il n'est pas rare de voir de grands groupes prendre des participations dans des startups concurrentes. Pour ne pas avoir à porter des trajectoires pouvant être autant porteuses que dangereuses. Et on ne va pas se le cacher, se laisser aussi la possibilité de simplement éliminer la menace...
    Et même avec de gros moyens, et la volonté de se transformer, l'effort est proportionnel à la taille du paquebot. Après avoir tourné la barre, les effets visibles sur la trajectoire prennent du temps.
    La longue liste des anciens leaders qui semblaient intouchables à leur époque et qui se sont pourtant effondrés est là pour nous rappeler la grande difficulté de l'exercice (Sun, Compaq, Palm, Sun, Black Berry, Nokia, etc... ).

    Et si Microsoft a continué à engranger les milliards de dollars avec un chiffre d'affaires qui n'a cessé de croître sur le marché du PC, du loisir et des entreprises. Sa marge baisse, et commence à avoir de sérieux problèmes structurels, nous l'avons partagé précédemment.

    Pour amorcer des changements profond et culturel, il est temps de repartir sur de nouvelles bases et de rebooter la machine. 

    Satya Nadella - 3e CEO

    Pour amorcer ces changements. Microsoft va désigner après Bill Gates et Steve Ballmer son 3e CEO : Satya Nadella.  S'il est un ancien de chez Microsoft ce qui marque quand on l'écoute pour la première fois c'est le changement de style. 

    Satya Nadella était jusqu'en 2011 vice-président de la branche recherche et développement pour les services en lignes, puis président de la division Serveurs et outils qui donnera naissance à Azure.
    On comprend que le monsieur a une vision et une sensibilité particulière sur les marchés et la concurrence venant du Web.
    D'autant que ce qui semble évident aujourd'hui ne l'était pas en 2011, ou l'on peut retrouver des articles qui s'interrogeaient sur le mouvement de Microsoft dans le web et si l'entreprise en faisait réellement une priorité.

    Souvenez vous :  Microsoft est une société qui à partir de son système Windows vend du logiciel et adresse ses gammes directement ou indirectement aux entreprises et aux particuliers. La croissance se faisant via l'évolution progressive des logiciels et leurs ventes.

    La nouvelle stratégie va consister à opérer une bascule progressive de fournisseur de logiciels vers un modèle basé sur la fourniture de service basé sur le Web. Notez bien le terme : de bascule progressive.

    Pour comprendre l'impulsion de cette nouvelle stratégie, revenons sur son leitmotiv : cIoud first, mobile first.

    #CloudFirst

    Si Microsoft avait commencé à investir dans Azure et Office 365, il fait du Cloud une priorité majeure. Pourquoi ? Parce que les services cloud permettent de capter la majorité de la valeur, et transformer des flux de revenus ponctuels en flux réguliers et surtout proportionnels à des usages qui ne cessent de croître .

    Si l'on peut se demander si cela ne va pas concurrencer sa base historique de clients principaux et braquer ses partenaires intégrateurs et revendeurs ? L'entreprise sait que cela va prendre du temps, elle va donc agir prudemment et progressivement en continuant de proposer aux clients les deux modèles en parallèle.

    Mais pour diriger les besoins vers la cible, Satya Nadella va opérer des changements qui, s’ils n'ont l'air de rien à première vue, vont créer une forte distorsion entre ses gammes de services en cloud et ses produits à la vente. Ces changements se résument dans le FIRST de CLOUD FIRST.

    Au-delà de la communication et du marketing se focalisant sur les nouveaux services. Cela se traduit par la décision de prioriser la recherche et le développement dans ses services Azure et Office 365. Et de les décliner dans un second temps dans les applications traditionnelles.

    • Conséquence : Les services cloud sont en avance fonctionnellement, évoluent et s'enrichissent toutes les semaines. Ils intègrent à un haut niveau de qualité le soft, les ressources et le service.
    • Et si Microsoft continue de faire évoluer ses logiciels, il faut attendre de plus en plus longtemps pour voir arriver de nouvelle version.
      En retrait fonctionnellement, on sent petit à petit que l'effort principal se concentre ailleurs. Les nouvelles versions déprécient parfois des fonctions utiles, et les évolutions sont axées sur la sécurité et l'intégration avec ses services Azure et Microsoft 365.

    Ainsi, plus Microsoft élargit le bouquet de ses services, avec des tarifs d'entrée accessible et proportionnelle à l'usage , plus il rend l'offre irrésistible. La croissance est portée par le plébiscite des nouveaux utilisateurs et par sa base d'entreprises qui cherchent des services complets et accessibles en quelques clicks.
    On comprend alors qu'il n'est plus nécessaire pour Microsoft de défendre bec et ongles Windows, mais au contraire de s'ouvrir aux autres plateformes.

    #MobileFirst

    Dans la nouvelle stratégie de Microsoft, on remarque tout de suite qu'il n'y a aucune mention de Windows. La raison en est très simple, partant du constat que la croissance n'était plus sur Windows, Microsoft décide de venir là où sont les utilisateurs : principalement sur le Web, macOS, iOS et Android . Cela se décline par la disponibilité des applications et services Microsoft et notamment Office 365 sur toutes ces plates-formes alors que jusqu'alors elles étaient principalement réservées aux OS Microsoft : Les Lumia et autres Windows phone ont déjà un pied dans la tombe.

    #DeveloperFirst

    DEVELOPER FIRST First aurait pu faire partie du slogan : Cloud First Mobile First.
    Microsoft prend conscience que l'un des facteurs de l'échec de Windows Mobile et de Windows 8 est lié aux manques d'applications et au peu d'attractivité de ses plateformes.
    Les développeurs préfèrent se tourner vers les stores en croissance des plateformes Android et iPhone et le développement d'application Web. La baisse d'intérêt s'explique aussi par la mauvaise image de Microsoft et son comportement hostile pour les systèmes libres utilisés massivement pour coder...

    Mais, en s'affranchissant de sa stratégie centrée sur Windows, Microsoft a les mains libres pour faire un demi-tour encore inimaginable il y a quelques années. Il ne s'agit plus de dénigrer Linux et l'écosystème libre, mais de l'intégrer d'abord silencieusement dans sa stratégie.

    Jusqu'en 2015, ou Satya Nadella présentera une slide affichant que Microsoft aime Linux, et pour ceux qui ont traversé l'évolution de l'IT depuis les années 2000, c'est un peu comme si Greenpeace affichait son soutien pour Total...

    Si la contribution de l'entreprise dans les logiciels libres ne commence pas à cette époque, en affichant cela, il fait passer le message qu' Azure n'est pas une plateforme réservée au système Microsoft et se positionne pour concurrencer l'AWS d'Amazon. Ainsi, quels que soient vos besoins, ou choix technologiques, de la base de données au serveur Web , vous pourrez les développer sur Azure.

    Pour convaincre les développeurs, il faut aller plus loin, beaucoup plus loin : Microsoft développe de nouveaux outils libres comme Visual Studio Code, et fait évoluer son IDE historique Visual Studio en proposant des versions gratuites, et bien sûr directement intégré avec l'écosystème Azure. Mais ce n'est pas finit, l'entreprise va faire des pas encore plus spectaculaires, comme publier la plateforme .Net sous licence libre, intégrer Linux dans le cœur de Windows avec WSL , intégré openssh, tuer Internet Explorer et le remplacer par une version de Edge basé sur Chromium.

    La liste des contributions dans l'open source devient très conséquente[1], et va faire de Microsoft l'un des principaux contributeurs.

    Mais le monde du développement va recommencer à trembler en 2018 quand Microsoft annoncera l'acquisition de la plateforme de développement collaboratif numéro 1 github pour 7,5 milliards de dollars

    Stratégie d'acquisition et de partenariat

    Grâce à sa base d'utilisateurs particuliers et ses clients en entreprise, Microsoft devient un leader du Cloud, du Saas, tant et un acteur incontournable dans le développement. Microsoft est plus puissante que jamais et contrairement au cycle précédent plébiscitée.
    Mais je ne pouvais pas finir cette analyse, sans aborder les opérations de croissance externe et participations.

    Car Microsoft ne va pas uniquement mobiliser son trésor de guerre pour acquérir Github. Vous vous souvenez en 2010, Microsoft est à la ramasse face à aux GAFA, Amazon dans le Cloud, Google sur les moteurs de recherche, Apple dans le mobile, mais aussi Facebook sur les réseaux sociaux. Et dans ce dernier secteur, si Microsoft est restée dans l'ombre jusque là, il va racheter pour plus de 26 milliards de dollars, le pendant de Facebook pour les entreprises : LinkedIn. Si le chèque peut sembler énorme, Microsoft en a largement les moyens et le potentiel de LinkedIn tant en termes de data, que de services et débouché donne le vertige.

    Mais Microsoft va aller encore plus loin, pour comprendre, il faut se raccrocher à une actualité plus immédiate...
    Il s'agit bien sûr du nouveau partenariat de plusieurs milliards de dollars qui permet à Microsoft d'intégrer les technologies d'OpenAI en exclusivité dans ses produits.

    Révolution de l'IA -> prospective vers une Stratégie d'externalisation portée par l'IA

    Je vous avais partagé dans ma newsletter de décembre dernier mon opinion sur le potentiel des intelligences artificielles et notamment celle basée sur les modèles de langages comme chatGPT. Si je m'interrogeais comme cela a été beaucoup (trop) décrit dans la presse, sur l'apport pour les utilisateurs finaux autant que sur leurs conséquences sociales.
    Pour moi, les changements les plus profonds et les questions qui vont avec, viendraient quand ces technologies pourront se nourrir des données des entreprises et seraient facilement intégrables aux Systèmes d'information.
    Mais quel rapport avec Microsoft me direz vous ? Et bien, peu après mon billet, Microsoft et OpenAI ont annoncé un partenariat de plusieurs milliards de dollars permettant à Microsoft d'intégrer les technologies d'OPenAI dans TOUS ses produits. Quant à Open AI cela permettra à l'entreprise de s'appuyer sur la puissance de calcul quasiment infini d'Azure et des services de Microsoft pour entraîner ses modèles de données et assurer sa croissance.

    Et si en intégrant ChatGPT dans Bing, Microsoft commence à tailler des croupières dans le marché des moteurs de recherche et à donner des sueurs froides à Google.
    Imaginez un acteur dee la puissance de Microsoft qui intégrerait ces technologies dans TOUTES ses applications et TOUS ses services ?
    À titre individuel, vous pouvez au bas mot imaginer un assistant virtuel dopé à l'IA disponible 24H/24H qui corrige, rédige, traduit, cherche , vous fait des propositions, des retours ? Et ceux dans n'importe quel domaine de la connaissance humaine ? Et cela dans tous les domaines, même ceux de la créativité que l'on pensait il y a encore peu de temps inatteignables pour un programme informatique, comme le dessin, les illustrations, la musique, etc, etc...

    Mais les enjeux pour les entreprises sont encore plus énormes. Si vous travaillez dans une société même de taille moyenne, vous pouvez mesurer le temps qu'il faut pour rechercher une info, ou être informé ? Ou pour rédiger des rapports, des comptes rendus de réunion, etc... ? Combien de temps passez-vous à trouver et comprendre le bon processus et la bonne procédure. ? À savoir qui s'occupe de quoi? Imaginez ce que pourrait apporter un modèle d'intelligence artificielle entraîné en permanence sur les données d'une entreprise, scrutant les informations de vos concurrents ou de votre secteur et marché ? Les gains de productivité seraient colossaux.

    Pour chaque métier de la connaissance, pour chaque métier qui utilise les données du SI, tous seront impactés en profondeur par cette nouvelle révolution. Et pour une fois, je pense que le terme révolution n'est pas galvaudé... Il est probable que nous soyons à l'orée d'un changement qui transformera la société comme la fait Internet, avec Microsoft et OpenAI bien placés pour en devenir les vendeurs de pelles...

    Position dominante : De retour vers ses démons ?

    Nous l'avons vu, la stratégie menée par Satya Nadella a permis à Microsoft d'être parmi les entreprises les plus puissantes du monde.
    Mais si l'image de Microsoft s'est considérablement améliorée ces dernières années, est-ce que l'empire a vraiment changé ?
    La crise du COVID nous rappelle qu'il n'est pas loin.

    Souvenez-vous, quand les entreprises ont adopté massivement le télétravail et que les besoins sont devenus exponentiels. Teams, le logiciel de communication collaboratif de Microsoft a profité de son intégration dans Office 365, pour passer d'une position de chalenger avec 10 millions d'utilisateurs actifs à une position de leader balayant toutes les alternatives comme Webex ou Slack... du jour ou lendemain, avec aujourd'hui plus de 270 millions d'utilisateurs.

    Et que cela soit à cause de la prédominance d'Azure, de la position d'Office 365, les procédures judiciaires pour abus de position dominante reviennent sur le devant de la scène. Et si Microsoft a échappé à un démantèlement lors de la première vague de procès aux États-Unis, la plus grande menace pour Microsoft sera peut-être Microsoft...

    Vers un modèle de sous-traitance basé sur l'IA :

    L' OutsourcingAI

    Avant de conclure, je voudrais préciser que l'idée de cet article n'est ni de vous dissuader ou ni de vous encourager dans l'usage des solutions Microsoft.
    Je les utilise tant en entreprise qu' à titre personnel dans le cadre de ma formation.
    Mais au-delà des discours marketing, qu'ils s'agissent de Microsoft des GAFA ou d'autres industriels de la tech, il me paraît évident qu'ils priorisent leurs intérêts plutôt que les miens. En soi, ce n'est pas un problème, toutefois plus un fournisseur d'outil ou de service devient important, plus il me semble indispensable d'analyser et d'en comprendre sa direction...

    De fait, si l'ensemble des services rendus au vu des coûts et de la dépendance sont pesés et compatible avec mes besoins ou avec la stratégie du système d'information en gestion, pas de problème c'est un choix éclairé.

    Typiquement, dans sa position actuelle, il est assez prévisible que Microsoft augmente ses tarifs régulièrement . Et plus l'apport fonctionnel sera important, les outils intégrés, et l'usage intensif, plus il sera difficile de ne pas passer à la caisse.
    Et cela, me permets de finir en abordant une réflexion sur l'intégration des briques d'open AI dans l'écosystème de Microsoft, que j'ai évoqué précédemment. En nouant, son partenariat d'exclusivité avec OpenAI, on se rend compte du potentiel que cela pourra avoir pour l'ensemble des systèmes d'information. Et si en ayant ouvert la boîte, on entrevoit le début de l'histoire, difficile de dire jusqu'où nous irons sur ce chemin.
    En faisant, un peu de prospective, je le vois comme un nouveau modèle de sous-traitance basée sur l'intelligence artificielle : ou l' #OutsourcingAI.
    Dans la bataille de la compétitivité, Microsoft est en train d'en remodeler les standards, en rendant incontournables ses services, mais en nous rendant toujours plus dépendants.


    Tags

    Archimate, Modélisation, Stratégie


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